"Apprends, ô Sancho, qu'un homme n'est pas plus qu'un autre s'il ne fait plus qu'un autre! Ami Sancho, apprends que je suis né par la volonté du ciel, dans notre âge de fer, pour y ressusciter l’âge d’or. C’est à moi que sont réservés les périls redoutables, les prouesses éclatantes et les vaillants exploits. C’est moi, dis-je encore une fois, qui dois ressusciter les vingt-cinq de la Table Ronde, les douze de France et les neuf de la renommée. […] Dors, toi qui es né pour dormir, et fais ce que tu voudras ; mais je ferai, moi, ce qui convient le plus à mes desseins." " Don Quichotte, Cervantes
Il était le dernier héritier des veilleurs de la grande tour de garde. Les guerres anciennes avaient eu raison des pierres et de l’acier mais cette lignée des hommes avait survécu. Il en était le seigneur et son nom, le témoignage vivant de l’engagement de ses ancêtres : Almannsur.
La nuit était profonde et les hommes avaient dressé un camp sans feu au sein de cette forêt ancestrale des elfes. Les éclaireurs avaient trouvé la trace des serviteurs du sombre seigneur, le réconfort du feu les aurait trahis.
Aux pieds des montagnes, à l'extrémité de la plaine, d'épaisses forêts entourent les terres arables et habitées. Chênes, châtaigners, sapins, ifs, noisetiers, tous ces arbres se côtoient dans un foisonnement inextricable de verdure, entourant des grottes et des ruisseaux, ainsi que de somptueuses clairières. Une route traverse cette forêt, aux frondaisons si épaisses que parfois le soleil y entre peu.
Vous ne tremblez pas ? Attendez que tombe la nuit. La magie du jour s'éloigne, et ce ne sont plus des silhouettes d'elfes que votre imagination vous montre, mais d'autres êtres... N'avez-vous pas entendu une branche craquer ?
Almannsur, adossé à un chêne sans âge, méditait. Au milieu de ses hommes, il était seul. Portant le fardeau d’une décision qui, il le savait, scellerait le destin des hommes du nord. C’était une occasion inespérée. Le plus proche lieutenant du sombre seigneur était là, tout prêt. Son armée de vermines n’était pas encore revenue des guerres du sud et il ne savait pas que sous les aillons des rodeurs battait le cœur de la ligné de Numénor.
Almannsur savait qu’il n’aurait pas une autre chance de débarrasser la terre du milieu de la présence de cette ignoble créature. Mais ce serait une victoire à la Pyrrhus car aucun d’eux n’en reviendrait. Même sans ses légions, l’ennemi possédait un arrière garde terrifiante qui aurait fait trembler bien des armées.
Lorsque le crépuscule avait embrasé le ciel, il leur avait annoncé. Au nadir, au plus profond de la nuit, il lancerait la charge et serait à leur tête. Un charge sanglante et sans retour. Aucune arrière garde, aucun repli, ce serait la fin des seigneurs du nord. Mais ils auraient vécu en homme et la mémoire de leurs pairs seraient portée au firmament. Tel était leur code, tels devaient être leurs actes.
L’espoir d’un lendemain radieux avait disparu. Le corbeau n’était pas revenu. La rumeur voulait que des lambeaux des armées du sud avaient trouvé refuge dans les contreforts de la montagne à l’ouest. Certains paysans chuchotaient le nom de Bob le Hargneux, un rude seigneur des plaines, connu pour avoir fait trembler les orcs et les trolls lors de maintes batailles. On disait que les têtes de ses ennemis ornaient le pic des étendards de sa garde. Pas très élégant… mais Almannsur s’en serait bien accommodé.
Le hululement s’était fait entendre, l’heure était venue. Tels des spectres oniriques, les hommes formèrent les rangs. Almannsur en tête, l’ultime bras armé de Numénor se mit en marche. Le camp était là en contre bas de la lisière. Le trône de l’infâme ornait les lieux. Le plan était simple : un trône, une charge, un coup d’estoc au cœur avant d’être submergé.
La surprise avait fait son œuvre, l’ennemi de nature peu structuré soufrait en plus d’une trop grande assurance d’être en sécurité. Les hommes se battaient avec la détermination que seuls les êtres ayant perdu tout espoir connaissent. La colonne s’était plantée profondément dans le flan de l’ennemi et Almannsur approchait de sa cible. Mais déjà, la queue de colonne était prise à revers : inéluctablement le piège s’était refermé.
Les ténèbres étendaient leur règne et le sang de Numénor abreuvait cette terre jadis sacrée. Almannsur faisait face à son ennemi. La lune se reflétait dans ses yeux métalliques, lueur d’un seul espoir : le tuer.
Dans ce chaos de ténèbres et de sang, un son retenti couvrant les bruits de la bataille qui faisait rage. Les cors cuivrés annonçaient leur seigneur venu rendre hommage à son hôte et répondant à son invitation d’agrandir sa collection de têtes. L’étendard écarlate du Hargneux perçait la nuit. Ça en était trop pour la horde dont les chefs n’aspiraient pas à trôner sur une pique. Bob le Hargneux lança la charge alors même qu’Almannsur pourfendait le Profanateur. Les ténèbres cédaient leur place à la flamme et le camp s’embrasait de la fureur des hommes.
Les premiers rayons de soleil dardaient la canopée, les hommes pensaient leurs blessures et rendaient hommage à leurs morts. Almannsur et Bob le Hargneux venaient d’ouvrir les portes d’un nouvel espoir.

nous apprirent c'est qu'es l'héroïsme à l'instant où le guerrier farouche apaise son ardeur (que l'on songe à Achille). Ce serait cependant ignorer comment la guerre est l'occasion unique d'un dépassement de soi qui pourrait constituer une définition possible de l'héroïsme. Nous tenterons pour notre part une définition qui validera les thèses que vous trouverez dans les pages que nous consacrons à l'Iliade : le héros est celui qui incarne parfaitement son temps. Il n'en manifeste pas forcément les valeurs objectives, pour ne pas dire les modes, vertu qui ferait de lui un modèle aimable et parfaitement assimilé (le duc de Nemours de La Princesse de Clèves...), alors qu'au contraire le héros se signale souvent à ses contemporains par une différence insolente ! C'est plus loin qu'il nous faut chercher cette "âme du monde" dont parle Hegel : au-delà de la simple succession des événements, l'Histoire est faite d'une trame qui n'affleure à la surface des choses que grâce au degré supérieur de conscience et de liberté que manifestent ceux que nous appellerons héros. Lorsqu'ils apparaissent, investis d'un certain pouvoir ou d'une certaine énergie, les rêves, les espoirs longtemps enfouis dans le psychisme collectif parviennent à leur éclosion.
ps: rouleau pépite de lvl5